Chabard (P.)

Une récupération à grand bruit de la colère habitante

Métropolitiques, 7 février 2017.

7 février 2017 / Articles scientifiques

Le 22 février 2016 le sociologue Julien Talpin montre dans son article publié dans la revue Métropolitiques "(...) comment, à Roubaix, les élus « empêchent la constitution d’un collectif soudé d’habitants face à un projet de rénovation urbaine qui s’impose à eux ». Pierre Chabard revient sur cette lecture et montre que si l’association étudiée par l’auteur est certes systématiquement entravée, elle n’est pas la seule initiative ayant tenté de donner la parole aux habitants. C’est le rôle que peut endosser l’architecte qui est ici souligné, posant la question de savoir si le contre-pouvoir est la forme la plus efficace de participation."

"Pourquoi réagir à cet article, long et étayé ? Le sociologue [1] pose des éléments indiscutables de diagnostic. Produit d’une industrie textile disparue depuis quelques décennies déjà, ce quartier populaire multiculturel très dense (plus de 120 logements à l’hectare), doté d’une forte identité, composé principalement de minuscules maisons ouvrières, concentre les principaux problèmes sociaux de notre époque : chômage, précarité, mal-logement, inégalités, etc. À ce titre, le Pile a été sélectionné avec 25 autres sites en France pour bénéficier du Plan national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD) (Raad 2015), programme volontariste de l’État, financé via l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) et l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (ANAH). Site le mieux doté financièrement des cinq retenus dans la métropole lilloise [2] (avec 42,7 millions d’euros), il fait l’objet, depuis 2013 et jusqu’en 2020, d’une importante opération de rénovation urbaine.

Fragile et vulnérable, ce territoire de pauvreté exige néanmoins justesse, précaution et précision de ceux qui se penchent à son chevet, que ce soit pour agir ou pour l’analyser. C’est la raison pour laquelle la critique de Julien Talpin ne peut rester sans réponse. Enseignant-chercheur à l’université Lille‑2, spécialiste des luttes urbaines et des processus de mobilisation citoyenne (notamment dans le cas roubaisien de l’Alma-Gare (Cossart et Talpin 2015)) et lui-même engagé sur le terrain du Pile (aux côtés de l’association UPC) [3], le sociologue modélise la situation comme un rapport de force binaire opposant les pouvoirs publics aménageurs et les « habitants » victimes de ces aménagements, comme un affrontement entre approches top‑down et bottom‑up. Le programme actuel de requalification urbaine du Pile serait, selon lui, motivé par une approche résolument spatiale (résorption de l’habitat insalubre, dé‑densification, réhabilitation ou démolition des maisons, embellissement de l’espace public) et par un « objectif explicite (…) [de] “mixité sociale” attirant des classes moyennes dans ce quartier populaire de mauvaise réputation » (Talpin 2016). Contre cette logique de gentrification, portée par une maîtrise d’ouvrage n’ayant « prévu qu’une concertation minimale sur le projet » (Talpin 2016), la colère des habitants aurait été prise en charge par une « table de quartier » lancée en mai 2015 et animée par des associations locales indépendantes, qui ont obtenu quelques acquis (relogement, concertation) mais subiraient en retour une « répression à bas bruit » (Talpin 2016) de la part de la puissance publique."

Voir en ligne : l’article sur le site de la revue

Notes

[1Voir également l’article de Julien Talpin à l’adresse : http://www.metropolitiques.eu/Une-repression-a-bas-bruit-Comment.html

[2Les autres sites sont : le quartier de la route d’Houplines à Armentières, le quartier Simons à Lille-Sud, le quartier Bayard à Tourcoing et le quartier Crétinier à Wattrelos.

[3L’Université populaire citoyenne de Roubaix (UPC) a été fondée en 2004 sur une mission de promotion de la démocratie et de la citoyenneté, et de partage du savoir et de l’expertise (cf. http://upc-roubaix.org). Observateur-participant de la table de quartier et des autres initiatives de l’UPC, Julien Talpin a présenté son livre à la médiathèque de Roubaix, dans le cadre d’un « cours du soir » de l’UPC, le jeudi 21 janvier 2016.