Bataille (N.)

Experts et consultants au service de l’action publique locale

Une approche pragmatique du travail de l’ingénierie privée

Thèse de doctorat de l’Université de Tours en Aménagement de l’espace et urbanisme effectuée à l’École Doctorale Sciences de la Société : Territoires, Economie et Droit - SSTED au sein des UMR Cités, Territoires, Environnement et Sociétés (Citères) et Ambiances, Architectures, Urbanités (AAU) - laboratoire Centre de recherche nantais Architectures Urbanités (Crenau ENSA Nantes) sous la direction scientifique de Denis Martouzet et Laurent Devisme. Thèse soutenue le 6 mars 2020.

6 mars 2020 / Travaux universitaires

"Dans l’aménagement de l’espace, des villes et de l’environnement, les acteurs de l’ingénierie privée occupent une place grandissante dans la mise en œuvre des politiques publiques. Ces invisibles des projets, parfois considérés comme des « experts », sont réputés accompagner les collectivités locales sur les dimensions techniques. Du reste, ils ne sont pas imperméables aux mutations contemporaines du capitalisme qui affectent l’action publique locale. Dans ce contexte, ils se veulent acteurs du changement et soutiennent des approches renouvelées pour répondre à une complexification supposée."

"À partir d’une enquête ethnographique, cette thèse qualifie le travail de ces bureaux d’études, sociétés d’ingénierie et de conseil dans l’action publique locale. Le cadre de la sociologie pragmatique des épreuves permet de comprendre le travail d’élaboration de dispositifs, mais aussi de production de catégories et de critique, qui est au principe de leur activité. Ce travail documente notamment un changement normatif global autour de la notion de projet au détriment d’une rationalité techniciste, modifiant l’action publique locale dont l’ingénierie privée est un miroir. Tout d’abord, dans l’organisation et le travail, les pratiques de l’expert sont dévalorisées face aux capacités d’animation prêtées au chef de projet. Pour autant, ce dernier subit les injonctions contradictoires de la mise en discussion permanente. Ensuite, face au client, l’ingénierie s’affiche de plus en plus comme « consultant », pour transformer la relation d’exécutant en partenariat. Cette coordination engendre un travail de négociation du besoin tout au long de la mission. En outre, les changements globaux dans la division du travail en aménagement favorisent une coordination plus locale et incertaine au détriment d’un État technocrate. Le recours à l’ingénierie privée est vu comme un moyen de retrouver de la souplesse entre des acteurs de plus en plus nombreux. Enfin, le travail de l’ingénierie dans le cours des projets montre, au-delà de la technique, l’important travail politique de composition d’un collectif et d’attribution des rôles pour permettre l’aboutissement du projet. Finalement, cette étude montre l’évolution de la coordination dans la fabrique de l’espace, entre maintien de dispositifs de la décision linéaire et nouvelles modalités d’échanges itératifs. Ce compromis amène à un confinement des débats politiques sur les fins du projet, alors que la priorité est donnée aux moyens de le faire aboutir."

SOMMAIRE

Chapitre 1 : Du terrain ethnographique au cadre de la sociologie pragmatique : l’ingénierie à l’épreuve de « l’approche globale »

  • Le terrain de l’enquête ou l’énigme de « l’approche globale »
  • Une recherche « sur » l’urbanisme : la sociologie pragmatique des épreuves pour analyser l’activité de l’ingénierie
  • « L’approche globale » en mode pragmatique, la cité par projets contre la cité industrielle
  • Conclusion : investiguer l’ingénierie, un changement normatif et ses effets

Chapitre 2 : L’organisation de l’ingénierie en compromis avec la cité par projets : matrice, logique compétence et comptabilité analytique

  • « L’approche globale » pour asseoir un nouveau modèle matriciel sur la critique de l’organisation « industrielle »
  • La traduction inaboutie de « l’approche globale » dans les épreuves de la « logique de compétence »
  • Le compromis par la comptabilité analytique : le temps et ses indicateurs comme
  • « Alpha » et « Oméga »
  • Rehiérarchisation des salariés dans le nouveau compromis organisationnel : la relégation des experts ?
  • Conclusion : le chef de projet et l’expert dans les nouvelles épreuves du travail de l’ingénierie privée

Chapitre 3 : La mise en discussion au péril de l’expertise dans les nouvelles épreuves collectives du travail

  • Une mise en conflit permanente : les épreuves de coordination relocalisées
  • La figure de l’expert au péril du travail organisé par projet
  • Le travail sous pression de l’organisation matricielle : la faiblesse de l’expertise face à l’urgence des projets
  • Conclusion : le déclin du travail de l’expertise et la pression du chef de projet

Chapitre 4 : La montée de l’ingénierie vers le conseil ou la critique de la division du travail avec le client

  • Les épreuves du client : l’ingénierie comme relation de service
  • La critique des dispositifs de l’épreuve du client : un déplacement vers l’épreuve processuelle
  • La montée de l’ingénierie vers le « conseil », un engagement pour le client à l’appui de la cité par projets
  • L’ingénierie en compromis, à mi-chemin vers le « conseil »
  • Conclusion : la revalorisation de l’ingénierie par le « conseil »

Chapitre 5 : Le développement de l’ingénierie privée ou la relocalisation des épreuves dans la fabrique de l’espace

  • L’émergence de la cité par projets en urbanisme sous l’effet de la critique de l’État aménageur
  • la relocalisation des épreuves et le déplacement de l’ingénierie vers le privé
  • Conclusion : l’aménagement et l’urbanisme connexionnistes au profit de l’ingénierie privée

Chapitre 6 : La grammaire plurielle de l’ingénierie dans le projet : confiner la politique par la technique

  • « Faire aboutir » les projets dans leurs épreuves multiples : une grammaire sociotechnique
  • La pluralité des justifications urbaines : la grammaire de l’expert et du consultant pour mettre en cohérence les projets
  • La grammaire du plan (I) : structurer une action collective autour de la maîtrise d’ouvrage en intéressant et enrôlant
  • La grammaire du plan (II) : enrôler dans l’action publique, l’ingénierie au travail du politics et du policy

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