Petitet (S.)

Les entreprises de l’aménagement face à la recherche

Illusions, désillusions et réalisations

Métropolitiques, 11 octobre 2021.

11 octobre 2021

"S’ils partagent parfois un même désir d’innovation, recherche en SHS et entreprises de l’urbain entretiennent des relations complexes et ambiguës, comme le montre l’auteur à partir de sa double expérience de chercheur et de directeur de la Recherche et de l’Innovation en entreprise."

"Depuis plus de cinquante ans, la mobilisation des sciences humaines et sociales (SHS) dans le champ de la production de la ville connaît une histoire tumultueuse et douloureuse. Dans le champ de l’urbain – bureaux d’études d’ingénierie, d’urbanisme et de paysagisme en particulier – se mêlent attentes et curiosité réelles, désir de compréhension ou d’instrumentalisation, recherche de légitimité, illusions, désillusions, expérimentations et incompréhensions. Depuis sa création en 2005, et surtout dans ses premières années, l’Agence nationale de la recherche (ANR) a financé de nombreux projets de « recherche partenariale » associant chercheurs, praticiens de collectivités locales et bureaux d’études privés autour de problématiques urbaines. Ainsi, à travers le programme « Villes durables » puis « Villes et Bâtiments durables » ou « Mobilités et systèmes urbains durables », l’ANR a cherché à réunir les mondes de la recherche universitaire et de l’industrie urbaine dans le cadre de projets visant à produire des connaissances mais aussi à expérimenter et diffuser les résultats auprès des gestionnaires et aménageurs de la ville. Si, dans un premier temps, de nombreux acteurs privés, bureaux d’études spécialisés dans l’aménagement urbain en particulier, se sont investis dans ces programmes pour de bonnes ou de mauvaises raisons [1], nombre d’entre eux ont assez rapidement déchanté et se sont retirés, considérant que le retour sur investissement était insuffisant, préférant s’engager dans des programmes du Fonds unique interministériel (FUI) [2], beaucoup plus orientés vers l’élaboration de produits ou prestations innovants, plus directement commercialisables.

Cette histoire est aussi faite de parcours individuels, trajectoires linéaires respectant les frontières établies ou parcours plus chaotiques, allers avec ou sans retours de la recherche vers l’opérationnel et, sans doute plus rarement, réciproquement. Ingénieur et docteur HDR en aménagement-urbanisme ayant longtemps été enseignant-chercheur dans un établissement d’enseignement supérieur, j’ai aussi eu la chance de connaître de l’intérieur, de 2010 à 2015, le monde des entreprises de l’aménagement, comme directeur de la Recherche et de l’Innovation pour Egis-France [3] et sa filiale Atelier Villes & Paysages. Cette expérience originale, qui fut aussi l’occasion d’une observation participante, m’a permis de mesurer la difficulté du transfert des résultats d’un programme de recherche vers l’élaboration et la vente de prestations innovantes, en d’autres termes les difficultés de l’innovation en matière d’offre de prestations d’ingénierie urbaine. J’ai pris conscience des incompréhensions et des malentendus entre chercheurs en sciences humaines et sociales et entreprises impliquées dans la production ou la gestion des infrastructures et des espaces urbains [4].

Il s’agit dans ce texte de dépasser la représentation un peu simpliste d’une opposition structurelle et presque ontologique entre, d’un côté, la figure du « praticien », représentée par celle de l’ingénieur désireux de technologies opératoires, d’une boîte à outils permettant de conférer une acceptabilité sociale aux innovations technologiques qu’il souhaite introduire et, de l’autre, celle du chercheur désireux de produire des connaissances pures et refusant toute compromission et velléité d’instrumentalisation. En fait, nous sommes en présence de deux mondes qui peinent à se connaître et se comprendre, deux mondes aux rationalités et intérêts certes distincts mais qui désirent le plus souvent sincèrement coopérer. Il nous semble donc que le problème réside plus dans les promesses et les attentes des uns et des autres autour d’un projet de recherche à visée opérationnelle, et dans les difficultés inhérentes à l’innovation en général et dans le domaine de l’urbain en particulier. [...]"

PLAN DE L’ARTICLE

  • Des programmes de recherche qui ne produisent pas des innovations industrielles et commerciales
  • Une maturité technique inachevée
  • Un marché « à créer »
  • Assumer le coût de l’innovation

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[1] Pour certains acteurs privés ces projets aux budgets et financements publics importants pouvaient être gérés comme n’importe quel projet commercial et donc dégager une marge au même titre qu’un contrat commercial classique.
[2] Le FUI est un fonds du ministère de l’Économie et des Finances visant à soutenir des projets de recherche et développement associant des grandes entreprises, des PME et des laboratoires, dans le but de développer des produits ou services susceptibles d’être mis sur le marché à court ou moyen terme.
[3] Le groupe Egis, aujourd’hui réorganisé, est un groupe mondial d’ingénierie, filiale de la Caisse des dépôts. Il intervient essentiellement dans le domaine des infrastructures et du bâtiment.
[4] Si le praticien est souvent représenté par la figure de l’ingénieur, cette incompréhension est aussi celle d’urbanistes, architectes ou architectes paysagistes parfois formés à l’Université et que l’on aurait pu penser plus enclins à comprendre la recherche et ses apports possibles.