Tapie (G.)

Les architectes :

mutations d’une profession

Edition L’Harmattan, collection "logiques sociales", Paris, 2000.

2000 / Livres

Mutations contemporaines, la complexité professionnelle
Une présentation de son livre : "Les architectes : mutations d’une profession"


Écartelés entre les valeurs du patrimoine et l’éclectisme de l’architecture contemporaine, confrontés aux échecs du mouvement moderne dans sa capacité à donner une image cohérente de la société postindustrielle, soumis aux aléas de la production et de la crise économique, les architectes s’efforcent de trouver une cohérence à leur devenir. Sur un autre registre, la contestation de leurs productions et la communication délicate avec l’opinion publique n’arrivent pas véritablement à ancrer leurs savoir-faire dans la société. La forte liaison avec des activités de création artistique et la dimension culturelle qui en résulte est ambiguë, critiquée en raison du rationalisme technique ou de l’efficacité économique érigés en dogmes, valorisée par la référence à l’imaginaire et à la liberté de l’artiste. Sociologues et chercheurs signalent la difficulté à identifier des savoirs propres et à légitimer une fonction sociale, ce qui expliquerait les crises régulières, alors que son autonomie et sa spécificité sont revendiquées par les architectes pour faire valoir leurs droits à être un des interlocuteurs incontournables dès lors qu’il y a production d’espace ou d’aménagement bâti. Crise économique et crise d’identité se rejoignent alors pour expliquer les difficultés d’une profession à faire valoir son expertise.

Le milieu professionnel y fait face par des attitudes contradictoires. Pour les uns, il faut retrouver la pureté originelle du métier par la combinaison, si souvent revendiquée, de l’ingénieur et de l’artiste ou allier la force symbolique à la rationalité technique. Pour d’autres il faut admettre des représentations néolibérales du rôle des architectes en intégrant la notion de profit inhérent au mode de production capitaliste contrairement à l’éthique du désintéressement propre à l’activité libérale, et cela même au prix d’une architecture-produit. Pour d’autres encore il faut s’appuyer sur la diversité des activités des architectes pour reconstruire une identité en voie d’éclatement. La palingénésie de la profession est assujettie à l’existence de valeurs unanimement partagées, celles de la croyance en une architecture sociale.

Ces constats sur l’état de la profession sont recevables et les moments de crise économique sont souvent des périodes d’interrogation sur soi encore faut-il aller plus loin au moins dans la description des processus en jeu si ce n’est dans leurs explications. Les mutations des architectes doivent être décrites et lues au travers d’une analyse des compétences en action pour en saisir toute la complexité actuelle et la diversité. Une sociologie du travail professionnel alliée à celle des professions montre la recomposition des activités des architectes à l’intérieur de leur métier historique (la maîtrise d’oeuvre, la conception architecturale, l’agence d’architecture), l’élargissement de ses activités et les évolutions entrelacées du système de formation. Sur la base de cette hypothèse, cinq changements ordonnent la recomposition de la profession.

La division actuelle du travail dans le cadre bâti repositionne le rôle et la fonction de l’architecte. Il n’est plus concepteur et maître d’oeuvre, il devient essentiellement concepteur partageant, en complément et en concurrence, avec de multiples professionnels la maîtrise d’oeuvre du projet (Conception architecturale et division du travail).

Si le métier historique se recentre sur une de ses composantes, il intègre les effets d’une nouvelle génération d’outils de production, liés au développement de l’ordinateur et de l’informatique : les logiciels de dessin ou d’aides à la conception ; les réseaux techniques pour les échanges de données informatisées. Conversion culturelle moins anodine qu’il n’y paraît, car elle oblige à se séparer des instruments techniques attachés à une forme antérieure d’activité professionnelle (La révolution des techniques).

La spécialisation des agences d’architecture dans des projet ou prestations, imposée par la segmentation accrue des marchés, fait aussi partie de ce renouvellement des pratiques. Avec pour conséquence une hausse de leurs compétences dans ces domaines mais aussi une difficulté à se présenter comme des concepteurs universels. Les formes d’organisation des agences subissent les effets de ces changements. La fonction conception y est privilégiée ; les agences s’inscrivent dans des réseaux pour mener à bien leurs tâches et rationalisent leur organisation (Agences d’architecture, marchés et formes d’organisation).
Ces transformations internes de la conception et de la maîtrise d’oeuvre s’accompagnent d’une ouverture vers de nouveaux métiers hors de la conception architecturale : situation peu aisée à gérer par un milieu professionnel qui garde sa foi au créateur davantage qu’à l’analyste ou au critique (Diversifications professionnelles : de nouveaux territoires).